Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/211

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il ne pense pas à en abuser ; il lui boute bien, çà et là, une goguenardise ; mais c’est une bourrade d’amitié. Elle est la première à se narguer. N’empêche que le sujet est sérieux, ou l’a été ! Il ne faut pas y toucher avec des mains sales. Les lourdes pattes de Timon n’y touchent pas. Et, sans que Annette le lui ait demandé, Julien Davy n’est jamais attaqué dans le journal ; son nom est tacitement écarté. Timon se contente de dire à Annette :

— « Hein ! ton idiot, il est fort pour manquer le train !… Dis le contraire ! »

Annette ne dit pas le contraire. Et que le patron dise qu’  « il l’a manqué », elle se sent un peu vengée… Elle a donc besoin d’une vengeance ?… Quoi ! après quinze ans d’oubli complet, sur lequel tant d’autres passions ont passé, la trace encore restait, et elle cuisait ?… Quelle femme peut jamais oublier la blessure faite à sa fierté ou à son cœur ?

Mais d’autre vengeance, Annette n’eût point voulu. Celle-ci la satisfaisait. Si seulement ce que le patron venait de dire, Julien avait pu le penser !… Oh ! deux ou trois fois dans sa vie… Il n’en fallait pas plus ! Elle n’eût pas voulu que ce regret fût une épine sous ses pas… Après tout, elle ne s’était pas gênée pour lui trouver des Ersatze !

— « Et lui-m.ême, le pauvre garçon, il m’était probablement un Ersatz à celui que l’on cherche, toute sa vie, sans le trouver… C’est beaucoup mieux que nous ayons suivi chacun notre route. »

Tout de même, Annette n’était point fâchée que la route de Julien ne se fût pas trop écartée de la sienne.