Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/228

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était, jusqu’à cette heure, un ami aimé et estimé, un grand professeur respecté, non moins pour sa science que pour l’intégrité de son caractère. Julien, sur-le-champ, s’excusa, tâcha d’expliquer confusément son jugement, en le rendant plus acceptable. Mais la face qui avait reçu le soufflet, gardait l’empreinte ; elle avait verdi, et, dans ses yeux brûlait maintenant la haine inexpiable. Jamais intellectuel n’a pardonné à un confrère de voir en lui ce que lui-même ne veut pas voir : car, quoi qu’il fasse maintenant, il sait que ce qu’il ne veut pas voir, est là. — Julien, plus consterné encore que celui qu’il venait de blesser à mort, s’en retournait à la maison, se répétant :

— « Et il est honnête ! »

Il le savait, il en eût mis sa main au feu… Ce grand savant… Une vie de désintéressement… Et le culte de la vérité… — Il ricana amèrement :

— « La vérité des honnêtes gens !… »

C’était pour lui un écroulement. Il se ressentait de son éducation puritaine. Les plus puritains sont souvent ceux qui rompent avec la religion. Quand ils s’imaginent le faire par amour de la liberté, c’est un amour de pureté qui les pousse, la passion de vérité pure, sans compromis. Il avait cru la trouver au dehors, chez ceux de la libre raison. Elle n’y était pas davantage… Et Julien, d’une main fiévreuse, écartant les égards dont il avait protégé ces « honnêtes gens » qui l’entouraient, se mit à regarder au fond. Il enterra, ces jours-là, beaucoup de ses proches. Mais il n’eut pas le courage de prononcer leurs oraisons. Il les avait tant honorés que leur faillite était la sienne.

Le plus douloureux fut la rupture avec le vieux maître : car elle s’opéra sans éclat, comme la mort d’un père dans son lit ; et le mourant regarde en silence le fils, avec un reproche poignant. Le vieux homme,