Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/229

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sans colère, refusait de lire le mémoire que Julien lui apportait : (car Julien, mis malgré lui sur la piste, ne pouvait plus maintenant s’empêcher de chercher la vérité, et rapportait le gibier au maître). Le vieux disait :

— « Non, je ne veux pas, c’est inutile… »

Et, lui posant sur la main sa grosse main gonflée par l’âge :

— « Mon ami, vous me désolez… Réfléchissez !… Vous vous perdez… Vous manquez à tout ce que nous attendons de vous… au devoir commun… »

Julien se raidissait :

— « Le devoir commun, commun à nous, hommes de science, est de servir la vérité, quoi qu’il en coûte. C’est vous-même qui me l’avez appris. »

Le vieux branlait sa lourde tête ; et dans ses gros yeux, striés de rouge, une flamme s’allumait :

— « La vérité ne peut jamais se séparer de la patrie. Les deux causes n’en font qu’une. »

— « Soit ! Que donc la patrie ne s’écarte point de la vérité ! »

— « Patrie, d’abord ! » dit le vieil homme. « Nous sommes tous à son service. »

— « Tous, mais non pas… »

Le vieillard lui coupa la parole :

— « Tout. Tout ce que nous avons. Sans exception. »

Les deux hommes se turent. La flamme du vieux était tombée. Il évitait de regarder Julien. Il attendait que Julien parlât, que Julien dît les paroles qu’il attendait. Comme le silence se prolongeait, il releva sa grosse tête de vieux lion malade, ses pesantes paupières qui faisaient penser déjà au couvercle du cercueil ; et son regard épais, humide, appuya sur le regard de Julien, avec tendresse, crainte, instance. Julien en était accablé ; mais il ne pouvait dire rien autre que :