Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/231

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Pour un homme comme Julien, la blessure qu’on fait aux autres n’est pas la moins douloureuse : on n’arrive pas à la guérir, comme les siennes propres ; on refait sa peau, on se cicatrise ; mais on ne refait pas la peau des autres, et l’on a mal à leurs plaies… Mais pour un homme comme Julien, cette obsession n’empêche pas l’implacable marche de l’esprit. Elle se poursuit, sur ses blessés et sur ses morts. Julien ne pouvait plus dire à son intelligence :

— « Halte !… Et ce que tu as vu, oublie !… » Il n’oubliait jamais rien. C’était une infirmité de son esprit. Il continua. Il ne cherchait point la polémique, et sa méthode était sans éclat. Il voulait seulement s’éclairer lui-même, — peu pressé d’éclairer les autres : car il en savait maintenant assez, pour savoir qu’ils ne voulaient pas être éclairés. Mais la seule pensée de sa présence à côté d’eux, de son contrôle silencieux qui les contredisait, du muet jugement qu’il portait contre eux, (car ils ne pouvaient plus l’ignorer), les jetait dans une irritation, que sa réserve même exaspérait. Un instinct aveugle les poussait à l’en faire sortir. Le plus provocant était l’ami — l’ami mort — l’ennemi mortel, dont la joue gardait éternellement la brûlure du soufflet. On ne permit pas à