Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/237

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parce qu’il eût été contraint alors à s’y voir lui-même, sous le jour cru. Et du moment où la lumière du dehors serait entrée dans la maison, il n’y pourrait plus fermer sa porte. Fini de l’ombre !… L’ombre était finie. Mais s’attardait complaisamment le clair-obscur, cher aux hommes de pensée… Fini de la pénombre à la Rembrandt, où du soleil invisible que fuient les yeux trop sensibles, les reflets d’orange veloutés s’allument au fond de la chambre… Le soleil entre. L’action est là.

Julien reculait, le plus loin possible, le moment d’ouvrir à la visiteuse.

Alors, il se contentait de publier, dans la période qui suivit la guerre, ses grands ouvrages d’histoire des sciences. Il les jugeait objectifs. Mais sa robuste personnalité, que la virile solitude avait nourrie, et dont les années de compression avaient bandé l’arc, ne s’apercevait pas des flèches d’airain qu’elle projetait, à tout chapitre, contre les mensonges de l’intelligence de son temps et de tous les temps. Comme il en avait été lui-même imprégné, c’était lui-même qu’il visait. Mais qui donc visait ? — Lui. Le nouveau Julien, le nouvel homme ensanglanté de son effort pour se libérer. Et c’était toute une époque intellectuelle, tout un âge de la société finissante, qui recevait le coup, et qui l’accusait.

Elle l’accusait le moins possible, pour ne point attirer l’attention publique sur l’archer. Et la jeunesse, qui n’avait point le temps d’aller chercher la pensée au fond des gros ouvrages bâtis à la façon des cathédrales, sans cacher leurs arcs-boutants (je veux dire les supports de leur monumentale documentation), passait auprès, sans regarder. Au reste, si elle eût tenté d’y regarder, eût-elle compris ? Eût-elle admis ? Dans les premières années d’après la guerre, la grande génération des héros de l’esprit, qui s’étaient accommodés,