Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/244

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le savait, et c’était pour elle la plus efficace discipline. Aux minutes où l’esprit chavire, (il en est toujours dans la vie d’une fille), George se ressaisissait, pensant :

— « Nous sommes deux : moi et lui. »

Puisqu’il s’en remettait à elle ! S’il eût intimé un veto, elle l’eût probablement enjambé, par jeu. Ce n’est pourtant pas que le système de non-résistance paternelle eût suffi à la préserver ! Elle aurait pu aussi bien se dire :

— « Et si j’y goûtais ? Ça ne lui fera pas de mal, et ça me fera du bien… »

Mais elle n’avait pas envie d’y goûter. L’amour était le cadet de ses soucis. Elle était pourtant une belle fille, bien au complet. Rien ne lui manquait. Mais quoi ! Elle n’avait point le désir de l’homme. Et le désir de l’homme lui paraissait un peu grotesque. Ce n’était point par ignorance qu’elle péchait. Elle avait lu — et comment ! — au grand livre de la Nature. Elle faisait son P. C. N. Et Dieu sait ce qu’elle avait vu et entendu ! Mais c’était comme la pluie sur le dos d’une cane. Les spectacles ou les propos les plus osés faisaient un « plouf ! » dans son ruisseau et disparaissaient sans laisser de traces. Son bon gros rire de grand gamin brisait l’aplomb des plus effrontés ; et ils riaient aussi, désarmés. Ils la traitaient en compagnon, se contentant de plaisanter « l’invulnérable ». Elle était la première à s’en railler. Mais elle n’essayait pas de changer.

La passion du sport avait pris la place aux autres passions. Elle y donnait tout son meilleur. Toutes les joies en une seule : la joie du jeu, la joie de l’action, la joie de la maîtrise sur soi-même, la joie de l’orgueil et la joie de la passion désintéressée, l’ivresse du sang et la clarté de l’esprit, la plénitude des énergies et le paroxysme où la vie ne tient plus qu’à un fil. — « Et le fil est bon, la vie bondit, l’air et la terre sont à moi… »