Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/245

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Sans en rien dire à son père — (il ne l’avait su qu’après que tout Paris le savait) — elle s’était soumise à un entraînement méthodique, elle s’était dit :

— « Je ferai aussi bien que ces autres, je ferai mieux. »

Car, à les voir tourner sur la piste, son jeune sang tournait plus impétueux, et elle piaffait ; elle était sûre et de son coffre et de ses cuisses. Et elle avait couru sur le stade et battu le record du « trois-cents mètres » ; elle l’avait tenu opiniâtrement, pendant quelques mois. Elle avait eu son heure de gloire olympique, parmi ce jeune monde anachronique qui revivait, sans y penser, la Grèce antique, sous le bout de l’aile noire du chaos qui s’étendait sur le ciel d’Europe. Il fallait la voir, au jaillissement de la victoire, fourbue, haletante, luisante, sentant la sueur, les cheveux plaqués, les yeux ronds et cernés, les traits tirés, un peu hagarde, franchement laide, indifférente à la beauté — et plus belle que la beauté ; elle rayonnait :

— « Je l’ai eu !… »

Quoi ? Ce record ?… Ah ! beaucoup plus qu’un succès de stade…

— « J’ai eu mon plein ! Je m’ai eue !… »

Quelle possession vaut celle-là ? On n’a que faire de celle des amants. Voilà, toute pure, la joie complète. Vous n’y ajouteriez pas un grain de plus… Oui, elle ne dure… Rien ne dure… Mais on l’a tenue. On en garde le soleil sous sa peau. Que peut-il bien y avoir de plus solide sur terre ?…

Une voix secrète lui murmurait, à certains jours, à des rencontres de petits pieds qui trottinaient dans un jardin, et d’un petit nez au vent, qui n’était pas toujours torché :

— « Il y a l’enfant… »