Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/278

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Athanase. Après des mois de silence farouche, que le petit compagnon respecta, il fut le seul avec qui Bruno consentit enfin à échanger de nouveau le pain des âmes, la parole. Et le petit sut étrangement se tenir à l’unisson. Le huitième mois n’était point passé, qui marquait le retour des vivants et de leurs troupeaux descendant la montagne, que Bruno avait reporté sur cet enfant toute la passion désespérée, dont il ne pouvait plus baigner ses morts.

Il l’enleva à cette terre qui suçait son sang. Il avait placé à Tarente, avec une pension, la mère et la fille. Il prit chez lui, dans une villa sur un des derniers contreforts des collines qui dominent le golfe de Tarente, entre Métaponte et Sybaris, le petit aux yeux noirs, qui paraissait avoir entendu le même appel de l’âme. Il l’instruisit, et il trouva en cet esprit un champ merveilleux. La solitude exaltée lui avait ouvert certains chemins secrets de sa propre pensée, qu’il avait jusqu’alors négligés : le sens occulte de ces vieux mythes de la Grande-Grèce, dont les beaux textes et les images avaient seulement meublé l’indifférence amusée de son dilettantisme érudit. Et comme, pendant les longs mois de silence côte à côte, s’était développée entre le vieux et le jeune compagnon une étrange perméabilité, Bruno lisait, au fur et à mesure qu’il les énonçait, ses propres visions dans les yeux de l’enfant. Et au fur et à mesure, sans s’en rendre compte, il les modelait sur les formes obscures de cet esprit qui s’éveillait, — et avec lui, le génie de cette terre millénaire, où dormait là, près d’eux, Pythagore. Extraordinaires entretiens, où le petit être, attentif, avide, mais sans s’étonner, recevait de la bouche du vieux, qui les redécouvrait dans ce regard d’abîme ardent, les légendes illuminées à triple sens de la profonde théogonie des Orphiques : les six générations des dieux, — Dionysos, le Sixième