Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/281

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s’était accumulé dans ses veines, comme dans les artères de la plaine ; à pas feutrés, la fièvre cheminait, elle avait creusé au plus profond. Et voici que, maîtresse de la place, elle soufflait son haleine de tigre !

Bruno fut épouvanté de la violence des accès : aux claquements de dents, aux ondes de glace, qui pendant des heures, du haut en bas, secouaient le corps de frissons mortels, succédaient des vomissements incoercibles, un brasier, la face en feu, et le délire. Il serrait dans ses bras son oiseau, s’évertuant en vain, tantôt à le réchauffer contre sa poitrine, tantôt à lui souffler le frais. Et, comme une mère, il essuyait la sueur qui transperçait linge et draps ; il l’épongeait, il le changeait. Le pauvre petit Dionysos, au teint terreux, au ventre bouffi, aux maigres membres d’où la chair jour à jour fondait, Bruno le disputa, pouce à pouce, à la mort. Il lui fut tout, dans ce combat livré à deux : le père, la mère, le frère, la sœur… Il avait tout mis sur cet être, tous ses amours. Cette unique flamme était le dernier tison de son foyer : son cœur y avait concentré tout le reste du feu disparu. S’il eût écouté le hurlement de la révolte intérieure, il se fût abandonné à la frénésie, comme les Titans de la légende. Mais il avait dans les bras le petit Christ de Métaponte, qui portait la croix de sa Passion, — Διονύσου τὰ παθήματά — et qui paraissait en avoir conscience. L’enfant ne cessait point de le fixer de son regard profond et sombre, qui, par moments, dans le délire, était un gouffre, mais où régnait, même dans les ombres, une étrange paix. Et quand le mal laissait un répit au corps brisé, le petit mendiait tendrement à l’ami encore un autre de ses beaux récits, — la suite, ou bien le recommencement. Et Bruno, comme inspiré par l’appel du jeune dieu mourant, lui révélait — se