Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/282

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révélait en même temps — le mystère de son destin : le Sauveur sacrifié de l’Évangile des Orphiques, qui vingt-cinq siècles avant le « Durch Leiden Freude » de nos héros, apprit aux hommes, par son exemple, à conquérir, par la douleur et par la mort, l’éternité, — le dieu qui rompt la roue des naissances, pour réintégrer ses élus dans la plénitude et la joie de l’Un. Qui pourrait dire si l’enfant comprenait ces pensées ? Mais son instinct s’y accordait. Son fatalisme de victime originelle, liée sur le bûcher, l’avait fiancé, depuis sa naissance, à cette Nature meurtrière, qui le dévorait. Il ne cherchait pas à s’en dégager. Il acceptait sa fiancée, sa dame Fièvre aux yeux de lagune ensoleillée, et ses colliers de vipères dans les roseaux. C’était ainsi ! Il acceptait. Et maintenant, il allait l’épouser. Il serrait ferme, comme un petit homme, la main de l’ami, dont il allait prendre congé. Et quand un frisson le secouait, il avait l’air de s’excuser. Il lui disait, à demi rêvant, qu’il partait en « pellegrinaggio pi l’Angile » [1]. Il caressait de sa main maigre la joue de Bruno.

Un accès pernicieux l’emporta. Il expira, un jour de soleil implacable sur le mirage des marais, les bras en croix, les yeux élargis, buvant l’abîme du ciel bleu, bleu sans un pli : la bouche ouverte l’aspirait. — Et dans son propre égarement, Bruno, penché sur le dernier souffle de l’adolescent, crut voir s’engouffrer dans cette bouche le fleuve du monde…

Pour achever le symbole, le jour tomba, d’arrière-automne. L’hiver venait. Le Dionysos, le dieu détruit, disparaissait. — Il ressusciterait, comme au printemps celui que saluaient les Thyiades, le Διϰνίτης, le « Nouveau-Né ».

  1. En pèlerinage au sanctuaire de San Michèle al Gargano, — le mont des miracles, à l’éperon de la botte italienne.