Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/305

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George s’était fabriqué de toutes pièces une Annette différente de la réelle. Elle l’avait faite — sinon à son image, — du moins à celle de sa parenté. Car elle aimait à penser que son père était imprégné de cette image, quand il l’avait engendrée. Elle savait que c’était un conte qu’elle se faisait ; elle le blaguait, mais le caressait.

Et cette Annette inventée l’avait introduite dans le monde de la passion, où elle, George, ne cherchait pas à entrer : c’était comme si son double l’en dispensait, s’en était chargée pour elle. Le plaisir de cette longue songerie, qui avait couvé plusieurs années, sans fièvre, sans éclat, avait été de revivre — à sa façon, avec confort — les aventures de l’autre Annette, comme un roman qu’on se conte la nuit, sur l’oreiller. George s’était forgé une vie de passion qu’elle vivait en somnambule, par procuration. Sa vie réelle n’en était pas troublée. C’était même le contrepoids nécessaire à l’équilibre de sa forte nature.

Des milliers de femmes sont ainsi, mènent loyalement la vie tranquille et régulière de famille et, tout au fond, au fond de l’être, aiment, agissent, font l’aventure, et se soulagent des énergies et des désirs inuti-