Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/306

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lisés. Mons Colas le Nivemois eût dit, goguenard et sage, aux maris :

— « Que cela ne vous fâche de penser que votre côte couche avec une nuée ! S’il vous faut, à tout prix, être cocus, soyez-le plutôt en songe ! — Et paix aux songes et aux songeuses ! Quand elles reviennent de très loin, sans entendre ce dont vous leur parlez, — avec un sourire vague, un regard étranger, les yeux cernés, — souriez bonnement aux navigatrices ! Elles trouveront, au retour, plus tiède le foyer… »

Toutes ne sont pas — (mais beaucoup sont) — aussi innocentes que l’était George. Et de l’innocence de la bonne marque : celle qui ne songe ni au bien, ni au mal. Elle songe… Et c’est tout. L’hirondelle glisse dans l’air…

Et à présent, l’hirondelle se trouvait, bec à bec, avec son songe. Et son songe n’était pas du tout celui qu’elle chassait. Annette n’était un double de qui que ce fût ! Annette était Annette, elle-même, et nulle autre…

Mais qu’à cela ne tînt ! L’hirondelle était emportée par son élan, elle engouffra, dans le bec béant, Annette. Annette était. Elle pouvait être ce qu’elle voulait ! C’était Annette qu’il lui fallait.

Elles se regardaient. George, cette grande fille, robuste et brusque, l’air décidé, — soudain figée, intimidée, on voyait son sein gonflé qui se soulevait, et son sourire niais. Annette, ses cheveux blancs, son front calme et son visage fatigué, ses larges yeux, ses yeux bombés, qui enveloppaient de leur miroir intelligent le trouble de l’amour impétueux de la grande petite fille. Et sous son regard, le cœur de la gauche Amazone se fondait, et ses fermes genoux fléchissaient. Elle était près de pleurer de honte. Et comme, timidement, elle soulevait ses paupières baissées, elle ren-