Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/328

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mauvais, je le prends tel quel, il me prend telle quelle, il va où je vais, et je sais où je vais. » Elle ne pouvait pas empêcher Bruno de lire en elle, derrière son volet. Mais elle en avait dépit et courroux. Et lui, bonnement, feignait de ne pas regarder ; mais il ne pouvait pas s’en empêcher, et dans sa barbe parfumée, il riait du museau de chatte qui se fronçait.

Tous les autres étaient conquis : l’enfant et George, Marc et Annette. Tous ressentaient, à la mesure de leurs besoins, le bienfait de cet optimisme, inatteint par les catastrophes de la vie et par la raison aux yeux bleus. Quelque irrationnel que pût être cet optimisme, qu’au fond de lui de tragiques expériences démentaient, il soulageait de l’autre clairvoyance de Julien, la voyance noire, le pessimisme qui tient bon, stoïque, indestructible, mais sans joie de vivre, sans élan. Il était, cet optimisme, lui seul efficace, car lui seul était vital : il répondait aux lois profondes de la « Nature naturante », qui veut vivre, sans se soucier du bien, du mal, de la souffrance, de l’inutilité des efforts ; il voulait vivre et il vivait, en dépit des lois morales et rationnelles, qui sont celles de la « Nature naturée », de l’homme logique, qui n’a pas la sagesse de lâcher le fil de son fuseau, de l’homme qui pense jusqu’au bout — jusqu’à ne plus vivre. Bruno n’ignorait rien de la pensée ; ses doigts habiles n’avaient point peine à en dévider l’écheveau ; mais il savait écouter le chant du rouet, et, lui répondant de l’intérieur de la maison, le chant du rêve, la sirène. Il en avait été jadis la victime ; mais maintenant, il l’avait prise dans ses filets, la sirène de Sicile ; elle chantait pour son plaisir et celui de ses hôtes, comme un oiseau d’appartement ; et pour tous ceux qui l’écoutaient, son chant était un allégement à la peine de vivre. L’oiseau ne cachait point ce qui fait peine. Il ne disait point :