Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/329

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— « Ce qui est, n’est point. »

Il disait :

— « Ce qui est, est : donc, il est beau. Car c’est beau, d’être ! »

Et sa belle voix de violoncelle, qui, peut-être, un peu s’écoutait, illuminait, beau ou laid, tout ce qui est, comme un rayon sur la mer bleue au pied de la roche de la mort : Scylla.

C’était ce rayon qui avait touché le front soucieux de Marc. Et sur ce jeune front le rayon s’était posé. Ils avaient été l’un par l’autre attirés. Du premier regard, le vieux et sage Sicilien avait été frappé par le désenchantement, pur et brûlant, de ce jeune visage : ce passionné était marqué pour la mort ; il avait déjà franchi le pas. Et Bruno était, aussi, touché par le grand effort qu’il lisait en cette nature tourmentée, pour se libérer de ses démons de violence et d’égoïsme de jeunesse. Il devinait ces combats silencieux, mieux que l’épouse, mieux que la mère ; et ce garçon irascible, dur, même cruel, orgueilleux, tyran, rapace, effréné, qui brisait les reins à ses instincts de petit jaguar, le séduisait par la vigueur même de ces instincts, et par celle de l’âme qui les avait domptés : il le voyait s’acheminant, par un rétablissement de jeune athlète, vers un état de renoncement, dont l’héroïque et fragile harmonie était émouvante, à ses yeux. Il en concevait pour cet enfant de vingt-cinq ans une vénération secrète et singulière, qui se marquait à la façon dont, par moments, il lui parlait, il lui cédait le pas — ce qu’il ne faisait pour aucun autre, même pour les femmes qu’en y mêlant une nuance de mondaine courtoisie, qui en diminuait le sens. On eût dit qu’il s’inclinait devant un mystérieux avenir. Peut-être lui-même n’eût pas su dire le sacrifice qu’il pressentait, et la vision de l’Isaac portant le bois de son