Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/385

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maladie, les grippes récentes, les lui avaient bien rappelées ; mais elle se refusait à les admettre, elle se disait :

— « Bon pour un temps ! Je me replie. Aussitôt guérie, je reconquerrai ma frontière du Rhin !… »

Elle devait aujourd’hui s’avouer qu’il lui fallait reculer ses frontières. Et jusqu’à où ? Et jusqu’à quand les pourrait-elle garder ?… Campagne de France… Au bout, les adieux de Fontainebleau… La pinçure d’un sourire au coin de la bouche entr’ouverte, elle ironisait son Iliade. Au bout du compte, toutes elles se valent ! Comme cette fourmi sur la pente, elle avait porté sa brindille… Où et pourquoi ? La question ne se posait même pas. On a bien assez à penser de porter son poids sans trébucher !… Mais le curieux, c’est que quand on est sur le point d’en être déchargé, on se dit : — « Si tôt fini !… »

Elle redescendit à petits pas jusqu’à un tournant qui surplombait, de cent mètres au-dessus, le petit chalet au soleil. Sur l’herbe chaude elle s’assit, les genoux remontés, les mains nouées autour des chevilles. Elle écoutait, sur la toile de fond bruissante de la vallée, torrent et cloches, la voix toute proche de l’enfant, qui pourchassait de ses petites jambes des poulets piaillants. Et dans son cœur, au bout d’un instant, tout se confondit… Où en était-elle ? Était-elle la grand’mère, la mère, ou l’enfant ?… Ce qu’il y a de bon, quand on est au bout du chemin, c’est qu’on peut le refaire tout entier, on le connaît tout, on jouit de tout. On ne le peut pas, lorsqu’on est au commencement. Elle jouissait si bien de la route qu’elle s’attardait au milieu. Elle se voyait, trente ans avant. Le bout de ses seins la brûlait. C’était son enfant qui jouait, à ses pieds. Elle avait oublié le rappel de l’âge par la douleur, l’instant d’avant. Le temps avait beau