Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/398

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tateur, d’un tyran de théâtre. Et c’était ainsi qu’à l’en croire le Duce lui-même se fabriquait : comme on fabrique un scénario. Il le disait, cet artifex, pour qui le monde était une matière à pétrir ! À ce degré du commediante (du tragediante… car il ne riait guère !…) tout était étoffe de théâtre : les peuples, l’État, le salut public. Il incorporait tout dans son rôle. Il empoignait, il violentait les masses humaines, il entrait dedans… Il restait dehors ! Il restait seul, même dans la prise. Un fort désir, mais peu d’amour. Peu de sympathie, peu de respect pour l’humanité. Beaucoup plutôt une force de haine, et, recouvrant tout, une indifférence foncière pour tous ces hommes aplatis, qui se ruaient sous ses semelles. Le mot de « masses » avait vraiment pour lui le sens de masse de glaise pour les doigts violents du sculpteur. Et ce qui comptait, en fin de compte, ce qui remplissait son âme aride et brûlante, ce n’étaient ni les hommes ni les États, c’était son œuvre… Ce n’était pas rien ! Chez un artifex de sa mesure, c’est beaucoup plus que l’ego ordinaire, aux dimensions de l’espèce moyenne, — plus que la vanité, plus que l’argent, même plus que la gloire… C’est la torche de l’action fumante, qui dans les espaces solitaires livre une sombre bataille — échec, victoire, qu’importe ? — agir ! Agir, combattre, la seule affirmation contre le néant…

Annette suivait sur les lèvres longues et mobiles du banquier, qui grimaçaient d’un plaisir passionné — (Et lui aussi était un artifex ! ) — le personnage qu’il évoquait ; et elle voyait un aventurier de Shakespeare, qui bataillait contre le songe opaque de la vie, et qui taillait à coups d’épée, dans l’ombre épaisse et sanglante, la destinée… Zara, qui jouait aussi son rôle dans la pièce, disait :

— « Tant pis, tant mieux, pour ceux qui ont la