Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/413

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fortunée et du noir exode. Les deux femmes avaient vu le double masque du visage : les palazzi couronnés de roses, et la fièvre, la faim, la crasse. Mais autour des deux, le cercle magique de la Circé, de la lumière, dont la sereine volupté baigne la richesse et la misère. Elles en parlaient l’une à l’autre, avec un sourire d’intelligence, comme d’une secrète jouissance qu’on n’évoque qu’entre initiés. Marc était seul à ignorer la saveur du fruit, et il brûlait d’y mettre ses dents ; il n’avait que le bras à allonger pour le cueillir…

— « Si nous allions en Italie ! »

Les deux femmes saisirent la balle au bond. Partager avec celui qu’on aime un plaisir qu’il ne connaît pas et que l’on connaît, c’est comme manger le fruit dans sa bouche. Julien avait bien émis certaines réserves ; il ne trouvait point que ce voyage fût à propos ; secrètement, il voyait les risques. Mais il se savait d’une prudence exagérée : pourquoi gâcher le plaisir de ses amis, en leur faisant part d’appréhensions, qu’en vérité rien de sérieux n’autorisait ? Julien n’était, d’ailleurs, pas très bien « à la page ». Comme la plupart des intellectuels libéraux, même d’extrême-gauche, il faisait, dans le conflit social, la place trop grande aux idées, et il était insuffisamment informé de « l’Économique ». Sa sollicitude pour Marc n’envisageait, en ce moment, dans les risques du jeune polémiste que ceux de l’antifascisme. Il ne faisait pas entrer en ligne de compte l’Internationale des intérêts, les féodaux de l’impérialisme industriel, que les campagnes de Marc inquiétaient. Il se contenta donc de l’engager à surveiller ses propos, la frontière une fois passée. Maix et Assia le prirent en riant : ils n’avaient rien à surveiller ; ils ne songeaient qu’à jouir de quinze jours de bon temps. Point de politique Congé à toutes les affaires sérieuses !… On laisserait