Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/425

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compte. Elle s’intéressait à l’Italie du présent, plus qu’aux musées.

Marc s’était hâté d’écarter le nuage de son ciel italien ; mais l’événement avait en lui des répercussions, qu’il ne dépendait plus de lui d’arrêter : ce bref contact personnel avec l’appareil de défense et de provocation policière qui couvre les flancs de la tyrannie, lui avait rendu celle-ci plus intolérablement réelle que les récits lus dans les journaux. Il n’avait plus la même joie à goûter l’air, le soleil, les beaux visages, les mains dorées, la saine et fière giovinezza, les fleurs, les fruits, et les églises peinturlurées. Il reniflait une odeur fade de lagune aux doucereuses œillades des saints gitons et des demi-vierges de Gaudenzio et de Luini, et aux sourires accrocheurs des androgynes de Vinci. Il n’en percevait pas la sereine amertume de l’esprit humilié qui, au temps du More comme du Duce, prend sa revanche par l’ironie et par le rêve, contre le tyran. Il les eût jugés, des ruses d’esclaves prostitués. Il voyait s’interposer devant le soleil l’ombre des ailes de l’oiseau de proie.

Elles couvraient les plaines de Lombardie. Les âmes peureuses se terraient, le cou sous l’aile, ou caquetaient, feignant d’oublier leur servitude et la menace suspendue. Les quelques amis d’Annette et du comte Chiarenza, qu’ils visitèrent à Milan et à Bologne, manifestaient une gêne pénible à les recevoir ; ils jetaient des regards inquiets autour d’eux ; ils semblaient craindre les mots qui pourraient sortir de la bouche de leurs visiteurs ; ils se hâtaient de parler très fort, avec une animation disproportionnée, de la pluie et du beau temps. Certains, plus braves, s’enhardirent jusqu’à faire entrer leurs auditeurs, après avoir traversé deux ou trois pièces, jusqu’au fond de leur appartement ; et là, toutes portes fermées, après avoir encore une fois