Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/533

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les ombres et devant les monstres, qui rongent souvent, sans qu’on y songe, l’esprit inquiet des enfants. La vie toute claire, sans obsession de l’inconnu. Malgré le choc qu’aurait pu être pour Vania la tragique disparition du père, il ne paraissait aucunement se préoccuper du sombre but qui attend le coureur au bout de la course. George ne s’en souciait pas plus que lui. Leur tranquille assurance à l’égard de cet : — « Après… » — était pour Annette un soulagement, qui n’allait point sans émerveillement : elle avait peine à comprendre. Il lui avait fallu tant de peines et d’efforts pour arriver à l’acceptation, après des échecs réitérés ! Eux, d’emblée, y semblaient installés. George avait habitué Vania à considérer la mort simplement, comme un acte naturel, qui était normal, aisé, pas effrayant. L’esprit solide et ordonné de la grande fille, pareil à une maison bien distribuée, avait su faire l’équilibre de l’implacable étude de la médecine avec la vigueur du sport et l’allégresse d’un corps sans défaut. Elle était douée d’une calme gaîté d’intelligence, précise et claire, qui s’intéresse à tout ce qui est ; et elle avait le secret de parler naturellement à Vania de toutes les questions naturelles : mort, maladies, questions du sexe. Elle n’avait jamais avec lui une réticence, une fausse honte, ou, à l’inverse, une impudeur, une licence : elle lui disait ce qui est. Ce qui est, est comme il est. Quand il est bon, il n’y a qu’à en jouir. Quand il est mauvais, il faut tâcher de le rendre bon. Dans les deux cas, on n’a point à se cacher les yeux. On voit, c’est toujours intéressant à regarder. Même si le spectacle se déroule en soi. Surtout, en soi ! On est alors le spectateur et le spectacle.

— « Regarde ta pièce ! Ne t’effare point ! L’acteur s’agite. Mais le spectateur est assis en bonne place, et il est libre d’applaudir ou de siffler, ou de bâiller.