Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/534

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Même, si le spectacle nous ennuie, nous le serons de dire : « Assez ! »…

Vania assista sans trouble à l’éveil naïf et effronté de sa puberté. Il était content d’être un garçon. Le monde lui paraissait une riche invention. Comme tout cela était donc ingénieux ! Les mécanismes de la vie obéissaient à des lois claires. Pas question d’une révolte contre les lois ! Toute machine obéit à ses lois. Il faut apprendre à manier la machine. Mon corps, ma vie, c’est mon auto…

— « Pas, George ? »

— « Oui, Vanneau, conduis-la bien ! Et n’écrase pas les passants !… »

Que c’est donc amusant de vivre ! Qu’on a de joie à partir, au frais matin, sur la route blanche, avec l’auto neuve et brillante, sans un grain de poussière encore dans ses beaux rouages fins, et qui s’envole comme un oiseau, obéissant à la plus légère pression de la main, — et près de moi, la camarade qui déjà vient de faire une partie du chemin, et qui le refait, pour en jouir plus complètement, à deux ! Et moi, je jouis et de ce qu’elle a vu et de ce que je vois et de ce qu’elle voit avec mes yeux…

Il leur semblait que leur vie n’était complète qu’ensemble. Chacun des deux seul, il lui manquait un morceau. Ce passé proche dont on est le fruit, — son père, sa mère, et les autres, — comment Vania arriverait-il à le comprendre, sans George qui en avait été le témoin ? C’est comme s’il l’avait envoyée en sergent-fourrier, pour lui éclairer le chemin. — Et il ne l’éclairé pas moins pour George : car il est perché sur son cou, jambes emboîtées sous son menton : (chers petits genoux !…) et le regard aigu du guetteur plane au-dessus de la tête de la porteuse : il vise et frappe plus loin que le sien. Plus d’une fois, sans qu’il s’en doute,