Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/585

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— « Mannie », — (il a combiné, pour son usage, maman avec Annette) — « c’est loin déjà que tu vis ! »

Il ne questionne pas, il affirme. Annette, pourtant, répond :

— « Je ne sais plus. Loin ou près, — d’où je suis maintenant, — c’est le même. Quand tu seras là, tu le verras. »

Mais il n’écoute pas, il suit son idée :

— « Mannie, comment est-ce que tu as fait pour ne pas être morte depuis longtemps ? »

— « Tu trouves que je dure trop ? »

— « Oh ! non… Mais papa est mort… »

— « Il était fait pour durer après moi. On l’a tué. »

— a Eh bien, et toi ? »

— « Cela n’est pas donné à tout le monde. Il y en a beaucoup qui vivent tranquillement. »

— a Oui… d’autres !… Mais pas nous ! »

— « Qui, nous ? »

— « Nous. »

(Il a son menton sur les genoux d’Annette, et il l’y enfonce, comme dans un tronc un petit merle.)

— « Tu veux dire : toi ? Est-ce que tu sais ce qu’il en sera de toi ? »

— « Oh ! moi », dit-il, tranquille, « je serai tué, comme papa. »

— « Mais quelle idée ! Il n’y a pas de raison… »

— « Si. Car j’irai faire la Révolution. »

— « Où ça ? En France ? »

— « Non, pas en France. Ils sont trop vieux. En Amérique. »

— « Pas possible ? De mon temps, nous y allions chasser les chevelures. C’est une autre chasse à quoi tu penses. Et où ça, mon petit ? Quelle Amérique ? C’est grand. Le nord ? Le sud ? »