Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/606

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pauvre garçon. George disait qu’il n’était pas si pauvre ! Puisqu’il avait du plaisir à la voir, elle lui en donnait plein les yeux. Quant aux soupirs, c’était une infirmité de croissance, comme le hoquet : il grandirait !

Somme toute, ce régime ne leur allait pas mal à tous deux. Ils étaient attachés l’un à l’autre. Mais George restait une énigme pour Silvio. Elle était femme, tellement femme, et si peu ! Cette chaude vie, ce grand beau corps florissant, cette bouche gourmande, ces riches seins qui pointaient… Mais cette chair en fleur et fruit, comme un bosquet de citronniers, ni son cœur ni ses sens ne la gênaient. Elle réalisait, à peu de frais émotifs, cette indépendance morale de la femme, que Annette avait cherchée toute sa vie, mais que sa nature passionnée ne lui avait permise — (et encore ! pas si sûr !) — que dans ses dernières années. George n’était pas, en principe, hostile à l’amour et à l’union, libre ou patentée ; mais elle n’était pas pressée d’y goûter ; elle disait :

— « Zut ! parlons de sujets moins embêtants ! »

Silvio la menaçait qu’un jour la nature se vengerait. George disait :

— « Ça sera drôle ! »

Elle était bien trop avisée pour affirmer :

— « Fontaine, je ne boirai point de ton eau ! »

Mais elle disait :

— « Je n’ai pas soif. »

Elle ajoutait que les médecins recommandaient de ne boire qu’après souper. Si donc il lui arrivait de se marier — (tous les malheurs peuvent arriver !) — elle ne se marierait qu’après avoir mangé sa tranche — (et pas petite ! sa bouche est grande) — de sa bonne vie personnelle. Le mariage est une maison de retraite…