Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/623

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peuple qu’il avait laissé, muré dans le silence de la tombe, il lui suffisait de poser sa main sur la tête du jeune homme, assis près d’elle, le front penché, le dos courbé sous la peine : il entendait :

— « Éveille le mort de la tombe ! Ne sais-tu pas à quel prix son Risorgimento a été acheté ? Va payer ! » La bouche d’Annette restait fermée. Mais sa paume avait transmis au front l’ordre muet de l’esprit. C’était assez qu’une seule fois, le regardant, elle lui eût dit :

— « N’es-tu pas le fils de Mazzini ? »

Pas un mot de plus. Il avait relevé la tête, comme sous le baptême, qui lave l’âme obscure et qui lui rend la certitude. Il n’était plus accablé par le destin. Il voyait le sien, et il brûlait de l’accomplir.

Il prit congé de la villa de Meudon. On ne reçut plus de lui que de brèves nouvelles espacées. Indirectement, on sut que Silvio gagnait sa vie, comme interprète, dans un hôtel de Londres. Ce n’était pas pour étonner. Les exilés sans ressources acceptaient, quêtaient tous les emplois. Annette chercha, par l’entremise de Julien, à lui obtenir une aide modeste qui lui permît de continuer ses études universitaires à Paris. Silvio refusa, sans s’expliquer. Il paraissait vouloir amasser un peu d’argent. On ignorait pour quel emploi. Et ses amis insistant, il cessa de leur écrire. Il était écœuré par le piétinement bavard et sans agir de l’émigration antifasciste, par leurs éternelles discussions, leurs dissensions, leurs suspicions, par leur pauvreté d’idéalisme actif, leur verbalisme, leur vieux parlementarisme pourrissant, qui ne pouvait plus suivre la marche du monde nouveau, — et, dans toute la jeune génération d’Occident, par le scepticisme, l’esprit de jouissance, l’esprit de prudence et de compromis, la peur snobique d’être ou de paraître idéaliste, l’absence totale de sacrifice… Il était poussé, par réaction de