Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/622

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à les noter), — Bruno a cessé d’être pour elle un ami lointain, qu’on imagine marchant, peinant, sur un morceau de la rude écorce de notre terre, et dont notre cœur, qui s’inquiète, cherche à suivre les pas. Il est dans le clair-obscur de la chambre, dans l’ombre et le jour qui enveloppent chaque mouvement. On n’a même plus besoin d’évoquer son visage et sa parole. Il est mêlé à notre souffle…

Une autre cloche va s’envoler du clocher ; mais nul ne le pressent. Annette ne se doute pas que les jours de Silvio sont comptés — comptés par lui. Et cependant, elle est pour beaucoup dans la décision du jeune homme. C’est un phénomène singulier que cette femme, plus qu’à mi-corps sortie de la vie, et que l’usure du corps, la maladie, le détachement intérieur, ont éloignée de l’action, rayonne l’action, sans le chercher, sur ceux qui l’approchent. De la même façon que le sacrifice de Marc est sorti d’elle, elle qui souhaitait (quelle mère ne souhaite ?) pour son fils une longue vie paisible et pleine, — bien d’autres flammes de sacrifice s’allumeront à son feu calme, sans qu’elle le veuille. C’est justement ce détachement qui fascine et nourrit les jeunes énergies, qui s’ignorent et qui ont faim de se dévouer. Son apparente immobilité est un cratère où brûle un lac de matière en fusion. Le lac paraît sans plis, et dort. Mais on ne peut s’en approcher, sans qu’on ressente sa chaleur à la face, et elle pénètre dans les moelles. Le feu n’a pas besoin de parler. Qui le touche, il lui dit : — « Brûle !… » — La calme femme n’avait qu’à vous regarder. Si elle l’eût cru, (Qui sait ?) elle eût fermé les yeux.

Quand, seule à seul, elle écoutait Silvio, quand il lui confiait l’âpre amertume de l’exilé et sa honte du