Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/637

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temps, — de tout cela qui vous tient au corps : bêtes et gens, — et c’est quelquefois bien encombrant !… Mais je m’en vas. Il n’y en a plus pour longtemps. »

— « Ne soyez pas si insolente de nous en étaler votre contentement ! »

Elle rit, et dit :

— a Je vous demande pardon. Mais, mon ami, je vous laisse votre part de contentement. Je ne prends pas tout. Vous vous en irez aussi. Vous vous en allez. Et tout s’en va, de ce que nous aimons, — cette bonne vieille terre, également. Non, nous ne sommes pas des égoïstes ! Pas de traitement de faveur ! Ce qui vaut pour l’un vaut pour tous. Égalité ! »

— « Démocrate ! »

— « Non ! Communiste — jusque dans la mort ! »

— « L’un avec tous. »

— « Oui, l’un dans tous. »

— « Mais où trouverez-vous alors la délivrance, le dévêtement de tout ce monde qui vous engaine ? »

— « Dans ma rivière… Comme c’est curieux ! »
(En me parlant, elle avait fermé les yeux, et nous restâmes quelques secondes, pas plus de quinze, dans le silence…)

— « …Je viens de sombrer dans le passé. J’ai revu, je revois (Dieu ! que c’est loin !) un étang rouge, an milieu des bois[1]. Je m’y baignais, j’ai retrouvé, dans son eau d’or, la vase qui colle sous mes talons et les lianes grasses autour de mes cuisses… (Non, vous ne pouvez pas comprendre !…) J’ai bien failli m’y enfoncer, il m’en a fallu de la peine, jusqu’à ce que l’écluse fût ouverte !… Comment ? Je ne sais… Sûrement pas par mes seules forces. Seule, je n’aurais pu… Mais elle s’est ouverte, et le flot de l’eau morte s’est

  1. Annette et Sylvie : la vision du début.