Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/638

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écoulé, le flot de l’eau d’or, de l’eau qui dort, — et moi, dedans, — s’est écoulé dans l’eau vivante, dans la rivière. Et la rivière s’écoule vers la mer. Je suis sauvée… »

— « Oui, c’est le bonheur, de trouver sa pente. La vie n’a pas d’autre objet. Et quant au reste, quant au but, la rivière se chargera de nous y porter. Il n’est que de se fondre avec elle. S’unir avec le flot des vivants. Rien qui stagne ! La vie qui marche… L’en avant ! Même dans la mort, le flot nous porte. »

Elle me prit la main :

— « Même dans la mort, nous serons devant… »

Je la quittai, sur cette promesse. En me levant, — (elle s’excusait de rester étendue sur la chaise longue) — je lui remis au pied une de ses socques qui était tombée, et je lui dis :

— « En souvenir de notre entretien, vous me les léguerez, si la première vous partez ? »

Elle me dit :

— « Emportez-les ! »

Sur le chemin de la forêt, je rencontrai, m’en retournant, George et Vania, qui rentraient. Ils étaient rouges et dorés par le soleil. Ils me reconnurent, et je vis bien qu’ils vivaient honte que j’eusse trouvé Annette abandonnée à la maison. George s’excusait maladroitement, avec un gros rire gêné. Mais je ne voulus pas gâter leur bonheur. Je dis :

— « Nous nous sommes très bien passés de vous !… »