Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/84

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volonté ne le voulait pas. Elle en ressentait peu d’estime pour elle. Mais cette estime, il y avait longtemps qu’elle l’avait perdue. Elle n’était point tendre pour elle-même. Orgueilleuse, oui. Mais orgueilleuse de ne point se flatter. Si elle eût été seule, le compte eût été bouclé, avant qu’elle fût rentrée à la maison. — Mais elle n’était pas seule. À la maison, il y avait l’autre, — celui dont la présence, celui dont l’existence lui était un frein qui l’irritait, mais qu’elle aimait à mâcher, et dont le goût de fer lui donnait plus de saveur à vivre, — l’autre, l’associé, au nom de qui le compte était à demi. Qu’en penserait-il ? Elle connaissait son terrible sérieux en ces matières. Il jugeait de l’honneur en vieux bourgeois, il le plaçait à des endroits où l’honneur n’avait que faire. Assia l’ironisait depuis longtemps, à ce sujet. Mais cette ironie, sans qu’elle se l’avouât, le lui rendait plus digne de respect… Si elle ne lui disait rien de sa stupide aventure, il ne saurait rien, il serait tranquille, personne au monde ne le troublerait… Mais voilà ! C’était justement la seule éventualité qui fût exclue. Assia l’avait rayée de ses papiers. Le fait en soi, le « délit », (comme on voudra le nommer !) lui était relativement léger à porter. Mais le silence sur le « délit », c’était pour elle le vrai délit. Non, non, elle n’acceptait pas de s’en charger. Elle voulait bien faire tort à Marc, mais elle ne voulait pas le « tromper ». « Tromper », pour elle, c’était uniquement, mentir (ou se taire). Elle ne trompait pas. Elle ne fraudait pas.

Elle arrêta donc dans sa tête qu’elle lui dirait tout. Tant pis pour elle ! Elle ajoutait in petto : « Tant pis pour lui !… » Sans la sottise de Marc, elle ne fût pas sortie aujourd’hui. Elle lui en voulait… (elle exagérait !) Sa décision était prise. Il s’y mêlait de nobles instincts : droiture, horreur de mentir — et de moins nobles :