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XVI

Ave, Cæsar, morituri te salutant

(Dédié aux spectateurs héroïques et à l’abri)


Dans une scène de son terrible et admirable livre, le Feu, où Henri Barbusse a noté ses souvenirs des tranchées de Picardie, et qu’il a dédié « à la mémoire de ses camarades tombés à côté de lui à Crouy et sur la cote 119 », il représente deux humbles poilus qui viennent en permission à la ville voisine. Ils sortent de l’enfer de boue et de sang, leur chair et leur âme ont subi pendant des mois des tortures sans nom ; ils se retrouvent en présence de bourgeois bien portants, à l’abri, et, naturellement, débordant d’exaltation guerrière. Ces héros en chambre accueillent les rescapés, comme s’ils revenaient de la noce. Ils ne cherchent pas à savoir ce qui se passe là-bas. Ils le leur apprennent : « Ça doit être superbe, une charge, hein ? Toutes ces masses d’hommes qui marchent comme à la fête, qu’on ne peut pas retenir, qui meurent en riant !… » (p. 325). Les poilus n’ont qu’à se taire : « Ils sont (dit l’un d’eux, résigné), au courant mieux que toi des grands machins et de la façon dont se goupille la guerre, et après, quand tu reviendras, si tu reviens, c’est toi qui auras tort au milieu de toute cette foule de blagueurs, avec ta petite vérité… » (p. 133).

Je ne crois pas qu’une fois la guerre finie, quand les soldats reviendront en masse dans leurs foyers, ils se laisseront si facilement donner tort par les fanfarons