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LES PRÉCURSEURS

soldat de corps et d’âme, et il ne connaît que par ouï-dire les excitations du combat… »

Naturellement, le reporter est enchanté de pouvoir montrer le tout puissant guerrier dans le rôle sublime du renoncement.

Cette scène si confortable est dérangée par l’intrusion d’un capitaine d’infanterie, au cerveau détraqué, qui s’est échappé de l’hôpital. S. E., furieuse, se contraint à la bonhomie, et fait reconduire l’importun en auto. Il tire de l’épisode quelques phrases touchantes sur l’impossibilité d’agir où serait un général s’il voyait toute la misère du combat. Et il esquive la dernière question du journaliste : « Pour quand croyez-vous que nous puissions espérer la paix ? » en le renvoyant au Seigneur d’en face, celui qui est dans l’église, — le seul qui puisse répondre. — Après quoi, S. E. fond sur l’hôpital comme un ouragan, lave la tête au vieux médecin-chef et lui enjoint d’enfermer à clef tous ses malades. Sa colère, un peu soulagée, se rallume au reçu d’un message du front : un général de brigade lui décrit les effroyables pertes subies et l’impossibilité de tenir sans envoi de renforts. Son Excellence, dans les calculs de laquelle il entrait parfaitement que la brigade fût exterminée, après avoir tenu le plus longtemps possible, s’indigne que ses victimes aient des conseils à lui donner ; et il intime à la brigade la défense de se replier. — Enfin, la journée terminée, le grand homme rentre en auto à son palais, remâchant encore avec fureur la sotte question du journaliste : « Pour quand S. E. espère-t-elle la paix ? »

« Espérer !… Quel manque de tact !… Espérer la paix ! Qu’est-ce qu’un général a de bon à attendre de la paix ? Un pékin ne peut-il pas comprendre qu’un général commandant d’armée n’est vraiment commandant et vraiment général que dans la guerre, et que dans la