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LES PRÉCURSEURS

une action et l’action de toutes les actions ? Jour par jour, tu dois l’arracher de la gueule des menteurs et du cœur de la foule. Tu dois rester seul contre tous… Ceux qui veulent la paix sont dans un éternel combat ».

Baruch est subjugué :

— « Je crois en toi : car j’ai vu ton sang versé pour ta parole ».

En vain Jérémie l’écarte ; il se fait scrupule de l’associer à ses rêves et à ses épouvantements. Baruch s’attache à ses pas ; et sa foi brûlante s’ajoute à celle de Jérémie et la redouble.

Jérémie : « Tu crois en moi, quand moi-même je crois à peine en mes rêves… Tu as fait jaillir mon sang, et versé ta volonté dans la mienne… Tu es le premier qui croie en moi, le premier-né de ma foi, le fils de mon angoisse… ».

Avec des cris de joie, le peuple revient sur la place, il est heureux : il a la guerre ! Dans un cortège de fête, le roi paraît, sombre, et l’épée nue, Hananja danse devant, comme David. Jérémie crie au roi : « Jette l’épée, sauve Jérusalem ! La paix ! La paix de Dieu ! » Ses paroles sont couvertes par les clameurs. Il est rejeté du chemin. Le roi pourtant a entendu ; il s’arrête, et cherche des yeux celui qui a crié ; puis il reprend sa marche et monte au temple, avec l’épée.

Scène III : « Le Tumulte »

La guerre a commencé. La foule attend les nouvelles. Elle bavarde, elle happe au vol les paroles qui lui plaisent, ou bien elle les transforme au gré de ses désirs ; et, voulant la victoire, elle l’imagine accomplie. Avec un art très souple, Zweig montre comment une rumeur vague se propage dans l’âme hallucinée de la multitude et devient instantanément plus certaine que la vérité. On se communique, de bouche en bouche, tous les détails, les chiffres de la fausse victoire. Le prophète