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LES PRÉCURSEURS

défaitiste, Jérémie, est bafoué. À l’oiseau de malheur, on apprend que les Chaldéens sont écrasés et que leur roi Nabukadnézar est tué. Jérémie, d’abord muet de saisissement, remercie Dieu de ce qu’il a tourné en dérision ses lugubres prophéties. Puis, devant la stupide arrogance du peuple, qui s’enivre grossièrement de la victoire, sans que l’épreuve lui ait rien appris, il le flagelle de nouvelles menaces :

— « Votre rire durera peu… Dieu le déchirera comme un rideau… Déjà, le messager court, le messager du malheur, il court, il court ; ses pas se précipitent vers Jérusalem. Déjà, déjà, le voici proche, le messager de l’effroi, le messager de l’épouvante, déjà le messager est proche… »

Et voici le messager hors d’haleine ! Avant qu’il ait parlé, Jérémie tremble d’effroi… « L’ennemi est victorieux. Les Égyptiens ont traité avec lui. Nabukadnézar marche sur Jérusalem »… La foule crie d’épouvante. Au nom du roi, un héraut appelle aux armes. Et Jérémie, le visionnaire trop véridique, autour duquel le peuple effrayé fait le vide, supplie Dieu vainement de le convaincre de mensonge.

Scène IV : « La veille sur les remparts »

La nuit, au clair de lune. Sur les murs de Jérusalem. L’ennemi est au pied. Au loin, Samarie brûle, Gilgal brûle. Deux sentinelles dialoguent ; l’une, soldat de métier, ne voit et ne veut pas voir plus loin que sa consigne ; l’autre, qui semble un de nos frères d’aujourd’hui, s’efforce de comprendre, et son cœur est accablé :

— « Pourquoi Dieu jette-t-il les peuples les uns contre les autres ? N’y a-t-il pas assez d’espace sous le ciel ? Qu’est-ce que les peuples ?… Qu’est-ce qui met la mort entre les peuples ? Qu’est-ce qui sème la haine, quand il y a tant de place pour la vie et tant de pâ-