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LES PRÉCURSEURS

Tout supporter, tout souffrir, mais vivre ! — Des disputes s’élèvent dans la foule. Les uns disent qu’on ne peut quitter la terre où est Dieu. Les autres, que Dieu est parti. Jérémie, désespéré, crie :

— « Il n’est nulle part ! Ni au ciel ni sur la terre, ni dans les âmes des hommes ! »

Ses paroles sacrilèges soulèvent l’horreur. Il continue :

— « Qui a péché contre Lui, sinon Lui-même ? Il a rompu son Alliance… Il se renie Lui-même… »

Jérémie rappelle tous les sacrifices qu’il a faits pour Dieu : sa maison, sa mère, ses amis, il a tout laissé, tout perdu ; il a été entièrement sien ; il a servi, parce qu’il espérait qu’il détournerait le malheur ; il a maudit, parce qu’il espérait que la malédiction tournerait en bénédiction ; il a prophétisé, parce qu’il espérait qu’il mentait et que Jérusalem serait sauvée. Mais il a prophétisé la vérité, et c’est Dieu qui a menti. Il a servi fidèlement l’Infidèle. Maintenant, il se refuse à servir davantage. Il se sépare de Dieu, qui hait, pour aller à ses frères qui souffrent. « Car je te hais, Dieu, et je n’aime qu’eux. »

La foule le frappe, veut lui fermer la bouche, car elle le croit dangereux. Il se jette à genoux, en demandant pardon de son orgueil, de ses imprécations, il ne veut plus être que le plus humble serviteur de son peuple. Mais il est repoussé de tous comme un blasphémateur.

À ce moment, on frappe violemment à la porte. Trois envoyés de Nabukadnézar se prosternent devant Jérémie. Nabukadnézar, qui l’admire, veut faire de lui le chef de ses mages. Jérémie refuse, en termes hautains. Et, s’échauffant peu à peu, il prophétise la chute de Nabukadnézar : son heure est proche. Avec une jubilation sauvage, il le couvre de malédictions.

— « Il est réveillé, le vengeur, il vient, il approche ;