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LES PRÉCURSEURS

quelques oiseaux), sont toutes arrivées à un degré de développement où les bêtes attachent à quelque objet (une proie ou une femelle) un droit de possession. La possession et la guerre vont ensemble. La guerre n’est qu’une des innombrables conséquences qu’a entraînées avec elle, à un certain stade de l’évolution, l’établissement de la propriété. Quel que soit le but avoué de la guerre, il s’agit toujours de dépouiller l’homme de son travail ou du fruit de son travail. Toute guerre qui n’est pas totalement inutile a pour conséquence nécessaire l’esclavage d’une partie de l’humanité. Seuls, les noms changent, pudiquement. N’en soyons pas dupes ! Une contribution de guerre n’est autre chose qu’une part du travail de l’ennemi vaincu. La guerre moderne prétend hypocritement protéger la propriété individuelle ; mais en atteignant l’ensemble du peuple vaincu, on porte indirectement atteinte aux droits de chaque individu. Ainsi, du reste. Il faut être franc et, quand on défend la guerre, oser reconnaître et proclamer qu’on défend l’esclavage.

Au reste, il n’est pas à nier que l’une et l’autre n’aient été non seulement utiles, mais nécessaires, pour une période de l’évolution humaine. L’homme primitif, comme la bête, est absorbé par le souci de la nourriture. Quand les besoins spirituels se sont faits exigeants, il a fallu que la grande masse travaillât au delà du nécessaire, afin qu’un petit nombre pussent vivre dans l’oisiveté studieuse. L’admirable civilisation antique eût été inexplicable sans l’esclavage. Mais à présent, l’organisation du monde a rendu superflu l’esclavage. L’ensemble d’une société nationale d’aujourd’hui renonce volontairement (et devra renoncer de plus en plus) à une partie de ses revenus, pour les employer à des œuvres sociales. Les machines fournissent dix fois autant de travail que la main d’homme ; si on les utilisait intelligemment, le problème social se-