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LES PRÉCURSEURS

nature, ne meurt jamais que ce qui est grand. (« In der Natur stirbt immer nur das Grosse »). Mais tout ce qui est grand doit mourir et mourra, parce que, conformément à la loi impérieuse de croissance, un jour vient où il dépasse les limites du possible qui lui était assigné. Il en est ainsi de la guerre, écrit Nicolaï : au-dessus des fronts illimités des armées gris ou bleu-horizon, plane le frisson annonciateur de la Götterdämmerung, qui est proche. Tout ce qui était beau et caractéristique des anciennes guerres a disparu : la vie de camp, les uniformes variés, les combats singuliers, bref le spectacle. Le champ de bataille est presque devenu un accessoire. Autrefois, le problème était de chercher et de bien choisir le lieu de la bataille : c’était la guerre de position. Aujourd’hui, on s’installe n’importe où et partout. Le travail essentiel est ailleurs : finances, munitions, approvisionnements, voies ferrées, etc. Au général unique s’est substituée la machinerie impersonnelle du Generalstab. La vieille joyeuse guerre est morte. — Il est possible que la guerre croisse encore. Dans celle-ci, il y a encore des neutres ; et on peut admettre, avec Freiligrath, qu’il se livrera une bataille du monde entier. Mais alors, ce sera définitif. La dernière guerre sera la plus vaste et la plus terrible, comme le dernier des grands Sauriens fut le plus gigantesque. Notre technique a fait croître la guerre jusqu’aux ultimes limites. Et puis elle croulera[1].

Au fond, sous ses dehors terrifiants, le monstre de la guerre n’est pas sûr de sa force ; il se sent menacé. À aucune époque, il n’a fait appel, comme aujourd’hui, à autant d’arguments mystico-scientifico-politi-

  1. Pages 154–156.