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LES PRÉCURSEURS

Mannhardt, prononça un discours pour glorifier les actes de guerre. »

Il fut un temps, écrit Nicolaï, où l’on croyait que l’Islam était inférieur au christianisme. Alors, les armes turques pesaient sur l’Europe. Aujourd’hui, le Turc est presque chassé d’Europe ; mais moralement il l’a conquise ; invisible, l’étendard vert du Prophète flotte sur toute maison, où l’on parle de la guerre sainte. »

Des poésies religieuses allemandes représentent le combat dans les tranchées « comme une épreuve de piété, instituée par Dieu ». Personne ne s’étonne plus de l’absurde contradiction, dans les termes, d’une « guerre chrétienne ». Très peu de théologiens ou ecclésiastiques ont osé réagir. L’admirable livre de Gustave Dupin : la Guerre infernale[1], nous a fait connaître, en les stigmatisant, d’affreux échantillons de christianisme militarisé. Nicolaï nous en présente d’autres spécimens, qu’il serait dommage de laisser dans l’ombre. En 1915, un théologien de Kiel, le professeur Baumgarten, constate tranquillement l’opposition entre la morale nationaliste-guerrière et le Sermon sur la Montagne ; mais cela ne le trouble point ; il déclare qu’en notre temps les textes du Vieux Testament doivent avoir plus d’autorité, et il met le christianisme au panier. Un autre théologien, Arthur Brausewetter, fait une découverte singulière : la guerre lui fait trouver le Saint-Esprit. Pour la première fois, écrit-il, l’année de guerre 1914 nous a appris ce qu’était le Saint-Esprit… »

Tandis que le christianisme était publiquement renié par ses prêtres et ses pasteurs, les religions d’Asie n’étaient pas moins prestes à trahir la pensée gênante

  1. Éd. Jeheber, Genève, 1915.