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LES PRÉCURSEURS

plus utilisables pour la vie. Il en résulte pour Nicolaï que les idées de Moltke et de ses disciples sont un présage favorable de la mutation proche.

Quoi qu’il en soit de cet espoir d’une mutation qui ferait, dans un délai rapproché, surgir une humanité antiguerrière, il suffit d’observer le développement biologique du monde actuel pour augurer l’imminence d’une organisation nouvelle, plus vaste et plus pacifique. À mesure que l’humanité évolue, les communications entre les hommes se multiplient. Le siècle dernier a brusquement porté au plus haut degré les moyens techniques d’échange entre les pensées. Pour n’en donner qu’un exemple, naguère il ne circulait pas plus de 100.000 lettres par an dans le monde entier ; aujourd’hui, il y en a un milliard en Allemagne (c’est-à-dire 15 par homme, alors qu’autrefois c’était une pour mille). Il y a quarante ans, on faisait 3 milliards d’envois postaux par an. En 1906, leur nombre était monté à 35 milliards. En 1914, à 50 milliards : (soit un par homme tous les dix jours en Allemagne, — tous les trois jours en Angleterre). Ajoutez la progression de vitesse. Pour le télégraphe, la distance n’existe plus : « le monde civilisé tout entier n’est plus qu’une chambre, où chacun peut s’entretenir avec tous ».

Il serait impossible que de tels événements n’eussent pas leur contre-coup social. Autrefois, toute pensée d’union ou de fédération entre les divers États d’Europe était condamnée à rester dans le domaine de l’utopie, par le seul fait de la difficulté ou de la lenteur des relations. Comme le dit Nicolaï, un État ne peut s’étendre à l’infini ; il doit pouvoir agir promptement sur les diverses parties de l’organisme. Sa grandeur est donc, jusqu’à un certain point, une fonction de la