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LES PRÉCURSEURS

trument de combat et d’émancipation, dans la lutte des peuples pour la liberté. Comme Dalembert et Diderot, il est « dans la mêlée » ; il marche à l’avant-garde de la pensée moderne, mais il ne la devance que de l’espace qui sépare un chef de sa troupe ; jamais il n’est isolé, comme ces grands précurseurs qui restent murés, toute leur vie, dans leurs visions prophétiques, à des siècles de distance de la réalisation : ses idéals ne dépassent que d’un jour ceux d’à présent. Républicain allemand, il ne vise pas plus haut, pour l’instant, qu’à l’idéal politique de la jeune Amérique — de l’Amérique de 1917 — qui (selon Nicolaï) « ne montre pas seulement le sens du nouveau patriotisme presque cosmopolite, mais aussi ses bornes encore nécessaires aujourd’hui. Le temps n’est pas encore venu pour l’universelle fraternité des hommes (c’est Nicolaï qui parle), et il ne faudrait pas qu’il fût déjà venu. Il existe encore des trop profonds fossés qui séparent les blancs des jaunes et des noirs. C’est en Amérique que s’est éveillé le patriotisme européen, qui sera sans doute le patriotisme du prochain avenir, et dont nous voudrions être l’avant-coureur… La nouvelle Europe est née, mais ce n’est pas en Europe… »[1].

On voit ici ses limites, qu’un Weltbürger du dix-huitième siècle eût dépassées. Nicolaï est, dans le domaine pratique, essentiellement, uniquement, mais absolument, un Européen. Et c’est « aux Européens » que s’adressent son Appel d’octobre 1914 et son livre de 1915 :

« Le moment est venu, écrit-il, où l’Europe doit devenir une unité organique, et où doivent s’unir tous ceux que Gœthe a nommés « bons Européens », (en

  1. Chapitre xiv.