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LES PRÉCURSEURS

comprenant sous le nom de culture européenne tous les efforts humains qui ont pris leur source en Europe. »

Il y aurait beaucoup à dire, à propos de cette limitation ; et, pour notre part, nous ne croyons pas qu’il soit juste et utile pour l’humanité de tracer une ligne de démarcation entre la culture issue d’Europe et les hautes civilisations d’Asie : nous ne voyons la réalisation harmonieuse de l’humanité que dans l’union de ces grandes forces complémentaires ; nous croyons même que, réduite à elle seule, l’âme d’Europe, appauvrie et brûlée par des siècles d’une dépense forcenée, risquerait de vaciller et de s’éteindre, si l’apport d’autres races de pensée ne venait la régénérer. — Mais à chaque jour suffit sa tâche. Et le penseur homme d’action qu’est Nicolaï va au plus pressé. En appliquant toutes ses forces au but unique, il accélère le moment d’y atteindre. — « De même que nos ancêtres, qui de leur temps étaient des précurseurs, s’enthousiasmaient pour l’unité de l’Allemagne, écrit Nicolaï, nous voulons combattre pour l’unité de l’Europe ; et c’est dans l’espérance de cette unité que notre livre est écrit ».[1] — Il n’espère pas seulement en la victoire de cette cause. Il en jouit déjà, par avance. Enfermé à la forteresse de Graudenz, près de la chambre où le patriote Fritz Reuter fut jadis incarcéré parce qu’il croyait en l’Allemagne, il remarque que la prison de Reuter est devenue un sanctuaire ; et, faisant un retour sur lui-même, il proclame qu’ « il en sera ainsi plus tard pour ceux qui sont emprisonnés aujourd’hui, parce qu’ils professent la conception de l’Européen selon Gœthe. »

Cette force de confiance rayonne à travers tout son livre. C’est par là qu’il agit, plus encore que par

  1. Introduction.