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LES PRÉCURSEURS

mal, mais de le chercher lui-même, de le chercher toute sa vie, s’il le faut, avec une patience acharnée. Mieux vaut une demi-vérité, qu’on a conquise soi-même, qu’une vérité entière, qu’on a apprise d’autres, par cœur, comme un perroquet. Car une telle vérité que l’on adopte les yeux fermés, une vérité par soumission, une vérité par complaisance, une vérité par servilité, — une telle vérité n’est qu’un mensonge.

Homme, redresse-toi ! Ouvre les yeux, regarde ! N’aie pas peur ! Le peu de vérité que tu gagnes par toi-même est ta plus sûre lumière. L’essentiel n’est pas d’amasser une grosse science, mais, petite ou grosse, qu’elle soit tienne, et nourrie de ton sang, et fille de ton libre effort. La liberté de l’esprit, c’est le suprême trésor.

Hommes libres, jamais notre nombre ne fut grand, au cours des siècles ; et peut-être diminuera-t-il encore, avec le flux qui monte de ces mentalités de troupeaux. N’importe ! Pour ces multitudes mêmes, qui s’abandonnent à l’ivresse paresseuse des passions collectives, nous devons conserver intacte la flamme de liberté. Cherchons la vérité partout, et cueillons-la partout où nous en trouverons ou la fleur ou la graine ! Et semons-la aux vents ! D’où qu’elle vienne, où qu’elle aille, elle saura bien pousser. Le bon terroir des âmes ne manque pas, dans l’univers. Mais il faut qu’elles soient libres. Il faut que nous sachions ne pas être asservis même par ceux que nous admirons. Le meilleur hommage que nous puissions rendre à des hommes comme Tolstoy, c’est d’être libres, comme lui.


(Les Tablettes, Genève, 1er mai 1917.)