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IX

À Maxime Gorki

(Cet hommage fut lu avant la conférence que fit, en janvier 1917, à Genève, Anatole Lunatcharsky, sur la vie et l’œuvre de Maxime Gorki.)


Il y a une quinzaine d’années, à Paris, dans la petite boutique au rez-de-chaussée de la rue de la Sorbonne, où nous nous réunissions, Charles Péguy, moi, et quelques autres, qui venions de fonder les Cahiers de la Quinzaine, une seule photographie ornait notre salle de rédaction, pauvre, propre, rangée, remplie de casiers de livres. Elle représentait Tolstoï et Gorki, debout l’un à côté de l’autre, dans le jardin de Iasnaïa-Poliana. Comment Péguy se l’était-il procurée ? Je ne sais ; mais il l’avait fait reproduire à plusieurs exemplaires ; et chacun de nous avait sur sa table de travail l’image des deux lointains compagnons. Une partie de Jean-Christophe a été écrite sous leurs yeux.

Maintenant, des deux hommes, l’un, le grand vieillard apostolique, a disparu, à la veille de la catastrophe européenne qu’il avait prophétisée, et où sa voix nous manque cruellement. Mais l’autre, Maxime Gorki, reste droit à son poste, et ses libres accents nous consolent de la parole qui s’est tue.

Il n’est pas de ceux qui ont subi le vertige des événements. Dans le spectacle affligeant de ces milliers d’écrivains, artistes et penseurs, qui ont, en quelques jours, abdiqué leur rôle de guides et de défenseurs des