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XII

Voix libres d’Amérique

J’ai souvent regretté que la presse suisse n’ait pas joué dans cette guerre le grand rôle qui lui appartenait. J’ai fait part de ce regret à des amis que j’estime parmi elle. Je ne lui reproche pas de manquer d’impartialité. Il est naturel, il est humain d’avoir des préférences et de les manifester avec passion. Nous avons d’autant moins à nous en plaindre que (du moins chez les Romands) ces préférences sont pour les nôtres. Mais le principal grief que j’ai contre nos amis suisses, c’est que, depuis le commencement de la guerre, ils nous renseignent incomplètement sur ce qui se passe autour de nous. Nous ne demandons pas à un ami de juger à notre place et, lorsque la passion nous entraîne, d’être plus sage que nous. Mais s’il est en situation de voir et de savoir des choses que nous ignorons, nous sommes en droit de lui reprocher de nous les laisser ignorer. C’est un tort qu’il nous fait, car il nous amène ainsi à des erreurs de jugement et d’action.

Les pays neutres jouissent de l’inappréciable avantage de connaître bien des faces du problème de la guerre, qu’il est matériellement impossible aux nations belligérantes d’apercevoir ; surtout, ils ont le bonheur, qu’ils ne savourent pas assez, de pouvoir parler librement. La Suisse, placée au cœur de la bataille, entre les camps aux prises, et participant à trois des races en