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LES PRÉCURSEURS

guerre, est spécialement favorisée. J’ai pu me rendre compte par moi-même et largement profiter de cette richesse d’informations. Il est peu de renseignements, documents, publications, qui n’affluent vers elle de tous les pays d’Europe.

De cette richesse, la presse suisse ne fait pas grand emploi. À peu d’exceptions près, elle se contente trop facilement de reproduire les communiqués officiels des armées et les communiqués officieux d’agences plus ou moins suspectes, inspirées par les gouvernements ou par les puissances occultes qui, plus que les chefs d’États, gouvernent aujourd’hui les États. Rarement elle cherche à discuter ces renseignements intéressés. Presque jamais elle ne fait place aux oppositions ; presque jamais elle ne laisse entendre les voix indépendantes, des deux côtés des tranchées[1]. La vérité officielle, dictée par le pouvoir, s’impose ainsi aux peuples avec la force d’un dogme ; et il s’est formé une catholicité de la pensée guerrière, qui n’admet point d’hérétiques. Le fait est étrange en Suisse, et particulièrement en cette république de Genève, dont les sources historiques et les raisons de vivre furent l’opposition libre et la féconde hérésie.

Nous n’avons pas à rechercher les causes psychologiques de cette élimination des pensées contraires au dogme officiel. Je veux croire que le parti pris y joue un moindre rôle que, chez les uns, ignorance des faits et manque de critique, — chez les autres vraiment instruits, négligence de contrôle ou timidité à reviser des

  1. Exception faite pour quelques voix allemandes, dont la plus haute est celle du professeur Fœrster. Mais il ne faudrait pas laisser croire que ces honnêtes gens soient le monopole de l’Allemagne, et qu’il n’en existe pas chez l’opposition d’en face, dans l’autre camp.