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émile

ressentir par lui-même l’inégalité des conditions qu’il n’avait d’abord qu’aperçue.

…Nous avons fait un être agissant et pensant, il ne nous reste plus, pour achever l’homme, que de faire un être aimant et sensible, c’est-à-dire de perfectionner la raison par le sentiment. Mais, avant d’entrer dans ce nouvel ordre de choses, jetons les yeux sur celui d’où nous sortons, et voyons le plus exactement qu’il est possible jusqu’où nous sommes parvenus.

Emile a peu de connaissances, mais celles qu’il a sont véritablement siennes ; il ne sait rien à demi. Dans le petit nombre des choses qu’il sait, et qu’il sait bien, la plus importante est qu’il y en a beaucoup qu’il ignore et qu’il peut savoir un jour, beaucoup plus que d’autres hommes savent et qu’il ne saura de sa vie, et une infinité d’autres qu’aucun homme ne saura jamais. Il a un esprit universel, non par les lumières, mais par la faculté d’en acquérir ; un esprit ouvert, intelligent, prêt à tout… Il me suffit qu’il sache trouver l’à quoi bon sur tout ce qu’il fait, et le pourquoi sur tout ce qu’il croit. Encore une fois, mon objet n’est point de lui donner la science, mais de lui apprendre à l’acquérir au besoin, de la lui faire estimer exactement ce qu’elle vaut, et de lui faire aimer la vérité par-dessus tout.

Emile est laborieux, tempérant, patient, ferme, plein de courage ; son imagination, nullement allumée, ne lui grossit jamais les dangers ; il est sensible à peu de maux, et