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émile

de lui-même, l’a détourné de chercher ses plaisirs dans la domination et dans le malheur d’autrui. Il souffre quand il voit souffrir ; c’est un sentiment naturel.

…Voulant former l’homme de la nature, il ne s’agit pas pour cela d’en faire un sauvage et de le reléguer au fond des bois ; mais qu’enfermé dans le tourbillon social, il suffit qu’il ne s’y laisse entraîner ni par les passions ni par les opinions des hommes, qu’il voie par ses yeux, qu’il sente par son cœur, qu’aucune autorité ne le gouverne hors de celle de sa propre raison.

Je prévois combien de lecteurs seront surpris de me voir suivre tout le premier âge de son élève sans lui parler de religion : à quinze ans il ne savait s’il avait une âme, et peut-être à dix-huit n’est-il pas encore temps qu’il rapprenne ; car, s’il l’apprend plus tôt qu’il ne faut, il court risque de ne le savoir jamais.

Il faut croire en Dieu pour être sauvé. Ce dogme mal entendu est le principe de la sanguinaire intolérance, et la cause de toutes ces vaines instructions qui portent le coup mortel à la raison humaine en l’accoutumant à se payer de mots.

L’obligation de croire en suppose la possibilité.

…Il y a des cas où l’on peut être sauvé sans croire en Dieu, et ces cas ont lieu, soit dans l’enfance, soit dans la démence, quand l’esprit