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émile

ciétés d’un jeune homme, qu’il pensât bien de ceux qui vivent avec lui ; et qu’on lui apprît à si bien connaître le monde, qu’il pensât mal de tout ce qui s’y fait. Qu’il sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ; qu’il trouve dans leurs préjugés la source de tous leurs vices.

Ferons-nous d’Emile un chevalier errant, un redresseur de torts, un paladin ?… Il fera tout ce qu’il sait être utile et bon : il ne fera rien de plus ; et il sait que rien n’est utile et bon pour lui de ce qui ne convient pas à son âge : il sait que son premier devoir est envers lui-même ; que les jeunes gens doivent se défier d’eux, être circonspects dans leur conduite, respectueux devant les gens plus âgés, retenus et discrets à parler sans sujet, modestes dans les choses indifférentes, mais hardis à bien faire, et courageux à dire la vérité. Tels étaient ces illustres Romains qui, avant d’être admis dans les charges, passaient leur jeunesse à poursuivre le crime et à défendre l’innocence, sans autre intérêt que celui de s’instruire en servant la justice et protégeant les bonnes mœurs.

Emile n’aime ni le bruit ni les querelles, non seulement entre les hommes, pas même entre les animaux… Cet esprit de paix est un effet de son éducation, qui, n’ayant point fomenté l’amour-propre et la haute opinion