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profession de foi du vicaire savoyard

…Quand l’union du corps et de l’âme est rompue, je conçois que l’un peut se dissoudre et l’autre se conserver. Pourquoi la destruction de l’un entraînerait-elle la destruction de l’autre ? Au contraire, étant de natures si différentes, ils étaient, par leur union, dans un état violent ; et, quand cette union cesse, ils rentrent tous deux dans leur état naturel. La substance active et vivante regagne toute la force qu’elle employait à mouvoir la substance passive et morte. Hélas ! je le sens trop par mes vices, l’homme ne vit qu’à moitié durant sa vie, et la vie de l’âme ne commence qu’à la mort du corps.

Mais quelle est cette vie ? et l’âme est-elle immortelle par sa nature ? Je l’ignore. Mon entendement borné ne conçoit rien sans bornes : tout ce qu’on appelle infini m’échappe. Que puis-je nier, affirmer ? quels raisonnements puis-je faire sur ce que je ne puis concevoir ? Je crois que l’âme survit au corps assez pour le maintien de l’ordre ; qui sait si c’est assez pour durer toujours ? Toutefois je conçois comment le corps s’use et se détruit par la division des parties : mais je ne puis concevoir une destruction pareille de l’être pensant ; et, n’imaginant point comment il peut mourir, je présume qu’il ne meurt pas. Puisque cette présomption me console et n’a rien de déraisonnable, pourquoi craindrais-je de m’y livrer ?

Ne me demandez pas non plus si les tourments des méchants seront éternels, et s’il