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profession de foi du vicaire savoyard

avide du bonheur qu’il ne connaît pas, le cherche… et, trompé par les sens, se fixe enfin sur sa vaine image, et croit le trouver où il n’est point. Ces illusions… ont beau me séduire, elles ne m’abusent plus ; je les connais pour ce qu’elles sont ; en les suivant je les méprise. Loin d’y voir l’objet de mon bonheur, j’y vois son obstacle. J’aspire au moment où, délivré des entraves du corps, je serai moi sans contradiction, sans partage, et n’aurai besoin que de moi pour être heureux ; en attendant, je le suis dès cette vie, parce que j’en compte pour peu tous les maux, que je la regarde comme presque étrangère à mon être, et que tout le vrai bien que j’en peux retirer dépend de moi.

Pour m’élever d’avance autant qu’il se peut à cet état de bonheur, de force et de liberté, je m’exerce aux sublimes contemplations. Je médite sur l’ordre de l’univers, non pour l’expliquer, par de vains systèmes, mais pour l’admirer sans cesse, pour adorer le sage auteur qui s’y fait sentir. Je converse avec lui, je pénètre toutes mes facultés de sa divine essence ; je m’attendris à ses bienfaits, je le bénis de ses dons, mais je ne le prie pas : Que lui demanderais-je ? qu’il changeât pour moi le cours des choses, qu’il fît des miracles en ma faveur ? Moi qui dois aimer par-dessus tout l’ordre établi par sa sagesse et maintenu par sa providence, voudrais-je que cet ordre fût troublé pour moi ? Non, ce vœu téméraire mériterait d’être plutôt puni qu’exaucé.