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jean-jacques rousseau


Le plus extraordinaire est que non seulement il n’avait pas prévu les conséquences de sa gloire et de son génie, — mais que cette gloire et ce génie lui sont venus, malgré lui.

La vie et l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau offrent à l’histoire littéraire le cas, peut-être unique, d’un homme de génie, que le génie est venu visiter, non seulement sans qu’il l’eût cherché, mais contre sa volonté.

Il était né un petit bourgeois de Genève, timide, sans volonté, sans caractère, livré de bonne heure à tous les risques d’une vie aventureuse, rêvant, flânant, assez bien doué, mais indolent, inconstant, paresseux, oublieux, bâillant à tous les vents, sans aucun esprit de suite, sans nul souci du lendemain, et n’aspirant à rien qu’à la tranquillité d’une existence médiocre et oiseuse, sans grands besoins, hormis un goût sensuel de la rêverie romanesque et voluptueuse. Jusqu’à trente-sept ans, rien ne paraît devoir l’en déranger. Mais, un jour, soudain, à l’improviste, le génie fond sur lui, et, par un coup de foudre que je raconterai, le terrasse, comme saint Paul, l’illumine et lui met la plume — l’arme brûlante — à la main. Il se trouve jeté dans l’arène, où les plus illustres champions de l’esprit humain livrent leurs combats, sous les yeux du monde assemblé. Et du premier coup,