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julie ou la nouvelle héloïse

vous allez faire, elle n’en serait pas moins honteuse. Mais il est faux qu’à s’en abstenir par vertu l’on se fasse mépriser. L’homme droit, dont toute la vie est sans tache et qui ne donna jamais aucun signe de lâcheté, refusera de souiller sa main d’un homicide, et n’en sera que plus honoré. Toujours prêt à servir la patrie, à protéger le faible, à remplir les devoirs les plus dangereux, et à défendre, en toute rencontre juste et honnête, ce qui lui est cher, au prix de son sang, il met dans ses démarches cette inébranlable fermeté qu’on n’a point sans le vrai courage. Dans la sécurité de sa conscience, il marche la tête levée, il ne fuit ni ne cherche son ennemi ; on voit aisément qu’il craint moins de mourir que de mal faire, et qu’il redoute le crime et non le péril. Si les vils préjugés s’élèvent un instant contre lui, tous les jours de son honorable vie sont autant de témoins qui les récusent ; et, dans une conduite si bien liée, on juge d’une action sur toutes les autres.

…Je veux que la valeur se montre dans les occasions légitimes, et qu’on ne se hâte pas d’en faire hors de propos une vaine parade, comme si l’on avait peur de ne la pas retrouver au besoin. Tel fait un effort et se présente une fois, pour avoir le droit de se cacher le reste de sa vie. Le vrai courage a plus de constance et moins d’empressement ; il est toujours ce qu’il doit être ; il ne faut ni l’exciter ni le retenir ; l’homme de bien le porte partout avec lui, au combat contre l’ennemi, dans