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julie ou la nouvelle héloïse

malhonnêtes gens parmi les roturiers ; mais il y a toujours vingt à parier contre un qu’un gentilhomme descend d’un fripon.

De quoi s’honore donc cette noblesse dont vous êtes si fier ? Que fait-elle pour la gloire de la patrie ou le bonheur du genre humain ? Mortelle ennemie des lois et de la liberté, qu’a-t-elle jamais produit dans la plupart des pays où elle brille, si ce n’est la force de la tyrannie et l’oppression des peuples ?

…La justice et l’ordre veulent que chacun soit placé de la manière la plus avantageuse à lui-même et à la société. Ces deux belles âmes sortirent l’une pour l’autre des mains de la nature ; c’est dans une douce union, c’est dans le sein du bonheur que, libres de déployer leurs forces et d’exercer leurs vertus, elles eussent éclairé la terre de leurs exemples. Pourquoi faut-il qu’un insensé préjugé vienne changer les directions éternelles et bouleverser l’harmonie des êtres pensants ? Pourquoi la vanité d’un père barbare cache-t-elle ainsi la lumière sous le boisseau et fait-elle gémir dans les larmes des cœurs tendres et bienfaisants, nés pour essuyer celles d’autrui ? Le lien conjugal n’est-il pas le plus libre ainsi que le plus sacré des engagements ? Oui, toutes les lois qui le gênent sont injustes, tous les pères qui l’osent former ou rompre sont des tyrans. Ce chaste nœud de la nature n’est soumis ni au pouvoir souverain ni à l’autorité paternelle, mais à la seule autorité du Père commun, qui sait commander aux